Du 26 avril au 8 mai 1974
Autriche
Départ de Venise au matin du 26 avril en direction d’Innsbruck en Autriche. Son nom signifie Pont sur la rivière Inn (Brücke = pont en allemand). La traversée des Alpes est encore une fois une expérience extraordinaire. Avant de quitter l’Italie, on s’est arrêté dans un petit village alpin pour savourer un dernier cappuccino et faire nos adieux à ce pays avec lequel j’ai développé un sentiment d’amour mêlé de frustrations.
Nous sommes rapidement tombés sous le charme de la petite ville d’Innsbruck. Site des jeux olympiques d’hiver de 1964, elle est située dans une vallée au coeur des Alpes dans un décor absolument magnifique. J’ai noté dans mon journal : « Perdue entre de gigantesques montagnes, elle n’est cependant pas étouffée … ni étouffante. » Nous y avons visité le site des jeux olympiques et flâné en ville en admirant le style alpin des bâtiments. C’est un peu carte postale, mais c’est beau.
La marche turque de Mozart. Thierry Châtelain au piano.
L’Autriche, état germanique d’Europe de l’ouest, forme sur le plan politique une république fédérale composée de neuf provinces ou Bundesland. Elle compte plus de huit millions d’habitants parlant à 95% l’allemand. Elle se distingue par ses paysages naturels montagneux et sa culture musicale classique très riche (Mozart est originaire de Salzbourg).
Allemagne
Dès notre arrivée au poste frontière allemand, on s’est aperçu qu’ici on ne rigole pas avec les règlements. Nous avions deux autocollants non réglementaires sur la Fiat : un Q (pour Québec) et un CDN (pour Canada). Or notre Fiat était immatriculée en Italie; les agents frontaliers nous ont donc obligé à retirer les stickers fautifs et à acheter un I (pour Italie). Pourtant, nous avions déjà traversé dix postes frontières depuis notre départ sans jamais avoir été embêtés avec ça.
Nous avons traversé l’Allemagne en une journée après avoir campé sur les bords de la mer Boden (Bodensee). Les camping était plein de roulottes entourées de clôtures. Nous trouvions ça bizarre à l’époque car on n’avait jamais ça. Je trouverais probablement le même spectacle moins surprenant aujourd’hui, ce type de camping s’étant multiplié sur toute la planète.
Note du journal :
« Le lendemain matin, avant de partir, un jeune Allemand nous invite à prendre un café dans sa tente. Il est seul dans une très grande tente avec plancher en bois. Un voilier lui appartient dans la marina. »
Nous étions vraiment dans un monde différent du nôtre sur le plan économique.
Alsace
Nous sommes arrivés à Strasbourg, plus précisément à Oberhausbergen, le dimanche 28 avril chez Paulette, sœur de Claire, et Hans son mari d’origine néerlandaise. Celui-ci travaille au Conseil de l’Europe, qu’il nous emmènera visiter le lendemain. On a passé une semaine fort reposante et avons un reçu un superbe accueil de cette petite famille. Paulette m’a aidé à trouver un endroit, la « Maison des jeunes et de la culture », pour développer quelques films noir et blanc que j’avais. J’ai même pu y faire quelques tirages papier. On est allé au cinéma avec elle et Hans nous a emmené au resto durant la semaine. Une pause qui fait du bien. Merci Hans et Paulette (si jamais vous lisez ceci, où que vous soyez).
Nous arrivons ici à une étape cruciale de notre voyage. On est à court d’argent et on doit trouver du travail si on désire continuer. Nous nous rendons donc au bureau de l’agriculture où on nous fournit une liste de fermiers acceptant des stagiaires. Le mardi suivant on fait la liste, sans succès. Un seul nous dit qu’il rappellera; il est de Scharrachbergheim à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Strasbourg. Il nous a effectivement rappelé pour un rendez-vous le jeudi 2 mai. Il croyait que j’étais seul mais accepte quand même de faire un essai à partir de lundi matin.
Nous arrivons à la ferme avicole d’André D. à 20h le dimanche 5 mai.
J’ai volontairement tronqué le nom du fermier pour des raisons que vous allez comprendre en lisant ce qui suit.
Extrait du journal du 6 au 8 mai :
« Première journée de travail sur la ferme. On commence par laver des autos. Ensuite, le bonhomme nous fait attraper des poulets pour les vacciner. Claire ne peut pas. Ils décident de lui faire faire du travail de maison. En deux jours j’attraperai trois mille cinq cents poulets.
La journée de travail se termine à 9h30 pm. Avant de se coucher, on convient de ne pas rester ici, mais de faire la journée de demain.
Le lendemain, je me fais réveiller à 4h30 du matin. À moitié réveillé, je descends l’escalier « sur le cul ». Madame D. a pitié de moi et quand son mari est parti, elle me permet de revenir me coucher jusqu’à huit heures. C’est une femme qui est écoeuré du régime que lui impose son mari, mais qui se résigne en attendant les jours meilleurs.
Nos deux jours à la ferme ont quand même été des plus enrichissants. Nous avons notamment connu la situation des travailleurs clandestins turcs en France. Il paraît que c’est pire en Allemagne. L’un d’eux, Nuri, celui avec qui je travaillais, était très gentil. Quand même, pour lui la situation était meilleure qu’en Turquie. Quant à nous, nous préférons revenir au Québec plutôt que de se faire exploiter. On a reçu 60 francs (~12$) pour deux jours de travail.
Les Turcs d’Alsace ont commencé à y immigrer dans les années 60 pour combler la pénurie de main d’oeuvre dans l’industrie du textile et dans les régions rurales. La plupart d’entre eux étaient passés par l’Allemagne. Ils sont aujourd’hui plus de 30 000.
Pour en savoir plus: Têtedeturc.com
Le rêve de Nuri, le Turc avec qui j’ai travaillé pendant deux jours, était d’émigrer au Canada qu’il percevait comme le pays parfait. Il n’est pas certain que ce serait toujours le cas aujourd’hui…
Depuis 1870, l’Alsace a été successivement territoire allemand et français. Conquise par les uns et par les autres au fil du temps et des guerres. Sous l’empire allemand après 1870, elle redevient française après la guerre de 1914-18, puis allemande de 1940 à 1945 et finalement française depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. On y parle français et alsacien, qui est issue de l’alémanique, ensemble de dialectes d’Alsace, du sud de l’Allemagne, de l’ouest de l’Autriche, du Lichtenstein et de la vallée de l’Aoste en Italie.
Après notre séjour de dix jours en Alsace et nos infortunes de travail, on décide de partir pour Paris et d’essayer de travailler dans une autre région de France.
Prochain article : Paris
Comments 1
Encore une fois fort intéressant. Je retiens entre autres la situation de ceux qui quittent leur pays pour travailler – comme vous, hi, hi. Merci René! Ca se lit tellement bien comme toujours.